Monday, April 25, 2005

Soledad

Un homme se promène dans les rues de Barcelone, alone. Il a l'air affairé, un grand sec cérébral. Encore un à qui on a oublié d'insuffler la vie ! Dans les joues surtout. Il a ce tic nerveux des intellectuels qui ne lâcheraient pour rien au monde leur cerveau torturé, même pour la lumière.

Souffrir le fait exister et cela se voit.

Les femmes ne l'amusent plus du tout. De toute manière, il les a toutes eues. En rêve, bien sûr, mais aussi, en réalité. Combats de corps exquis, fureurs de nuits érotiques qui nous font croire, un instant seulement, à l'éternité.
Puis, évidemment, le charme se rompt. A toujours voir cette tête qui chie tous les jours et comme tout le monde, vient l'ennui.

Il est las cet homme, comme tant d'autres, las de cette vie sans sursis. Pourtant, il fait comme tout le monde : il travaille, dort et rit parfois. Il se laisse souvent absorber par la masturbation intellectuelle. Cela lui donne une contenance et c'est bien.
Furtivement parfois, il se donne rendez-vous à lui-même dans un café. Ou plutôt, il donne rendez-vous à un café, en espérant qu'elle vienne cette vie. Souvent, il croise le regard d'une jeune fille ou deux mais cela ne l'amuse plus beaucoup...

A ce stade, vous voudriez que son histoire soit différente. Je le sens. Mais pourquoi faut-il toujours un coup de tonnerre, un bouleversement, une intrigue ? Vous vous ennuyez ? Si ?... Si ? Vous insistez ? Alors...bon...d'accord... aujourd'hui ce sera différent...
Dans le café, il repense souvent à son amie Tristeza, une pauvre fille qu'il avait rencontrée dans ce café justement, ici même. Perdue dans l'infini, elle semblait toujours un peu...ailleurs. Il n'était jamais tombé amoureux d'elle et c'est pourquoi elle était devenue son amie. Tristeza était un petit bout de femme, maigre, aux cheveux noirs. Cet être un peu mélancolique vivait dans l'ombre.

Mais revenons à aujourd'hui, puisque lecteur opiniâtre, vous voulez changer mon homme...Aujourd'hui, assis devant le café, amère pommade brûlant sa douleur intestine, il regardait par la fenêtre quand, sans prévenir, une jeune fille vint à s'asseoir devant lui.

Elle lui dit, très posée:
« Pardonne-moi, je suis un peu en retard... »
D'un silence entendu, il la dévisagea. Il eut une intuition. Son attention était captée par un sentiment de familiarité.

Ses yeux répondirent qu'il acceptait sa présence et la reconnaissait.
Elle prit un thé et ils se mirent à parler doucement. Ou plutôt, il lui parla car elle écoutait sereinement. Petit à petit, il lui dit toute sa vie, toutes ses angoisses et ses rêves aussi.
La nuit tomba bientôt mais rien ne pouvait les arrêter. Ils s'étaient trouvés. La jeune femme s'appelait Soledad.

Très vite, elle prit une place dominante dans sa vie, la place du vide, toute la place. Ils se marièrent rapidement. Lui changea, laissa tomber l'adolescence et ses doutes. Il se prit pour un adulte.
Cette bien étrange rencontre, il y repensait parfois. Mais rapidement, décidait de vivre plutôt que d'y penser, plutôt que de penser... Il se laissait porter.
Quand ils faisaient l'amour, c'était extraordinaire. Certes, les va et vient semblaient très humains, très naturels aussi mais l'intimité, la tendresse de leurs ébats avait quelque chose de divin. Une infinie caresse de sa part et l'autre était comblé. Joue contre joue, les cheveux s'en mêlaient, jusqu'à la pointe de l'âme, ils étaient engagés.

Hélas, le destin n'est jamais tendre. Il est là pour nous faire grandir pas pour nous endormir.
Après des années de joie intense, notre homme était enfin devenu lui-même : ni adulte, ni adolescent, ni enfant même mais tout à la fois... lui-même.
Pourtant... Une simple voiture renversa leur bonheur et d'un coup, clac, elle disparut ...Et comme seul réconfort à la douleur, il trouva près de son lit une note qu'elle avait laissée pour lui :

« Mon cher amour, ne sois pas triste.
Je suis ta solitude en personne. J'ai pris la forme d'un corps de femme pour te rencontrer et toucher ton être.
Peu à peu, je t'ai appris à m'aimer, à vivre avec moi à tes côtés chaque jour, chaque heure, chaque seconde. Grâce à moi, tu as affronté ton silence, le vide et la plénitude.
Tu as appris la liberté.
Maintenant, je suis avec toi pour l'éternité.
Je t'aime
Soledad

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