Friday, August 26, 2005

Ecriture est Sensation

Lorsque ma plume rencontre une feuille blanche, elle grave à jamais des mots, des phrases et ma pensée. Lorsque l’encre tache, ma main droite est juste derrière, je sens depuis le cerveau à mon épaule, la force d’une énergie vitale qui va graver. Ma main souffre de cet effort physique, entre les bosses et l’encre répandue sur le majeur acharné. Le geste douloureux a toutefois une forme d’élégance, alliance subtile d’une contraction et d’un relâchement. Les lettres dansent.

Déséquilibre des forces, seule la gauche de mon cerveau est sollicitée ? Peut-être.
Inconsciemment, je sais que tout cela est irrémédiable et mon moi attentionné censure un peu cet élan créateur. Censure un peu, beaucoup, passionnément. Car ce qui est donné ne peut être repris. Ce qui est sorti de moi l’est à jamais.

Lorsque j’écris avec de l’encre, je grave, je rature, je barre droit ou en vagues rageuses. Ma feuille ressemble rapidement à un brouillon d’œuvre d’art abscons, prêt à être jeté aux ordures ménagères. Il faut recopier car le désordre scriptural nuit à la clarté de la vision. Mais les lettres elles-mêmes et leurs formes irrégulières, personnelles, profondes ou pas, rondes ou pas, élevées ou basses me parlent aussi. La vie se glisse tant dans les sons que dans l’écriture elle-même.

Je prends l’ordinateur japonais pour recopier, les doigts noircis à l’encre de Chine. Les deux mains sur le clavier, chaque doigt à sa fonction, son groupe de lettres. Equilibre et immatérialité. La distance à l’écran est grande comme le lâcher prise. Pourquoi se retenir quand tout peut être effacé ? Les mots n’existent pas, ils n’ont pas de matière. Les lettres ne sont pas les miennes et pourtant…

Les doigts courent sur le clavier avec l’inspiration puis se collent, endormis par l’hésitation. Les articulations ne semblent plus répondre et le geste est effort. Puis, le corps entier reprend son souffle. Perte de l’énergie vitale dans son ensemble car tout azimut j’ai la tête dans l’écran.
Le son des lettres qui claquent est agréable mais ce n’est pas la musique d’une plume qui caresse sensuellement une feuille vierge. Le dépucelage est ici beaucoup plus propret, pas de tache ni d’éclat. Impersonnalité du geste? Je ne saurais dire.

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